La fin du Tenancier

Car il faut savoir prévoir...

Vieillard podagre à l’haleine puante, des coupures sur le visage à cause d’un rasage erratique, le Tenancier prépare sa fin du fond de sa bibliothèque. Avec patience, des jours durant et traînant des pieds, il rassemble un à un forts in-quarto, encyclopédies, pleines reliures, grands in-octavo à percaline rouge au phare, à la sphère ou à l’éléphant en un mur dont l’agencement ne se préoccupe plus d’une quelconque classification mais de l’harmonie des dos. Ainsi, négligeant ses douleurs arthritiques, affublé de saintes auréoles prostatiques il construit, dans la peine de ses jours finissants, le monument de son dernier exil. Arrive l’achèvement du mur. Il lui faut alors s’asseoir devant, comme il le faisait au long d’une jeunesse irrémédiablement perdue qui y cherchait alors la plénitude. Il reste là, jusqu’au crépuscule chaud qui avive les malsaines odeurs du vieillard négligé qu’il est devenu. Il faut tout de même se décider, se lever et se mettre face à cette dernière bibliothèque, tirer la cale reliée à une corde, éprouver le dernier frisson un peu sensuel de ce basculement et endurer le choc sourd de la chute. Le Tenancier meurt, ses frêles os broyés par les livres, le visage recouvert pour linceul d’un in-plano ouvert sur la carte de la partie occidentale de l’Islande.
 
Ci gît le Tenancier qui sniffa le Sneffels.

7 commentaires:

  1. Magnifique, on "respire" l'ambiance et on arrive au Centre...
    Béatrice

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  2. Un texte très fort!
    Elisabeth ( oui, j'ai pensé à mettre mon nom )

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  3. Jolie fin pour un vieux libraire en chambre ! mais pourquoi l'Islande et sa partie occidentale ? J'aurais plutôt vu le Liberia…

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  4. Amoureux de Verne. On ne se refait pas...

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  5. Même de dos, le Tenancier est beau.

    Otto Naumme

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  6. Ah mais, Tenancier encore ingambe, vous songez donc à rejoindre au Paradis le compositeur Charles-Valentin Alkan ?
    (L'anecdote est d'ailleurs rien moins que sûre, selon le premier commentaire de ce billet).
    La chose n'est pas donnée à tout le monde, comme on pourra le constater ici.

    Et bientôt elle ne le sera plus à personne : comment se faire écraser par les quatre millions de volumes d'une liseuse ?

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    1. Oui...
      Vous savez George, ce n'était qu'un modeste effet de style. Fallait pas autant vous mettre en frais.

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