Vince et les albums de la Pléiade

La manie de la collection provoque parfois d'étranges symptômes chez celui qui est atteint de cette affection chronique. Ainsi, votre serviteur, collectionneur de Vince, ne peut s'empêcher de se rêver au fond du décor, à l'instar de son idole, comme une Norton, mécanique dérivant dans les ruelles humides et obscures, feutrée et féline et en un mot : classe.
Mais ce n'est pas de Vince Taylor dont je veux parler ici.
La bizarre affection dont je veux vous entretenir est cette suspension de la critique dès qu'il s'agit de l'objet de la passion, en matière de livres. Passe encore la recherche compulsionnelle de toutes les oeuvres produites sous le nom d'un auteur, autour d'un thème ou même de la production d'un éditeur. Mais que penser de la collection... d'une collection ? Il est certes assez logique de trouver une cohérence, de vouloir trouver un ordre dans le chaos. En ce sens, le collectionneur tente de donner un sens et un cadre à son existence de collecteur. Mais... pourquoi cette chose si peu subtile : toutes ces mêmes couvertures, ces mêmes pages, ces mêmes dos ? Pourquoi cet alignement quasi militaire qui fait ressembler une bibliothèque à une caserne après la dégustation du bromure de nos grand-pères ?
Ainsi, les albums de la Pléiade représentent pour moi le paroxysme de cet ordre militaire, de cette sorte de fixation du mètre linéaire sous la domination d'une chaine d'arpenteur pour archiviste dépressif et indifférent. Car, c'est devenu une conviction, l'album de la Pléiade ne se lit pas, pour le collectionneur. Qui, parmi ceux-là sont réellement intéressés à la fois par Pascal, Faulkner ou les écrivains de la Révolution ? Et qui alors serait satisfait de la lecture de certains de ces albums ? Certes, certains biographes sont plus inspirés que d'autres, certes l'intérêt iconographique est souvent au rendez-vous... mais à ce compte il est plus économique et intéressant d'acquérir un volume de la collection "Ecrivains de toujours", rédigé par un spécialiste qu'un album de la Pléiade rédigé par un écrivain maison, à n'en pas douter honorable mais guère en rapport avec la forme apparemment pérenne de l'objet. Car c'est à cet endroit que cela gêne aux entournures.

Exemple éloquent : si la qualité de l'ouvrage est irréprochable sur le plan de l'iconographie, on préfèrera le petit bouquin ci-dessous, tout de même plus complet...

... et ce complément plaisant, ce petit ouvrage ci-dessous, à recommander également. Il suffit de voir le nom des photographes...


Revenons à ce qu'est l'Album de La Pléiade.
Ce volume est offert par le libraire pour tout achat de trois ouvrages de la Pléiade. Cette opération promotionnelle se répète depuis 1960. Lorsque j'écris que l'album est offert par le libraire, ce n'est point une vue de l'esprit car ils sont bel et bien facturés par l'éditeur. L'album ressemble à un volume de la collection en nettemment plus mince. Cela avoisine les 250 pages, la plupart du temps. La reliure reprend la même apparence que la collection : curir souple s'apparentant au chagrin, de couleur marron (la même que pour la série du XXe siècle), étui cartonné qui deviendra illustré par la suite... bref : totalement superposable à la série mère. Lors de la Quinzaine de la Pléiade et bien que la plupart des libraires s'en défendent - et que la majorité est sincère, du reste - ces albums sont vendus, et non distribués avec 3 volumes de la Pléiade. La chose ne devrait empêcher personne de dormir. Cette ruée absurde sur l'album de la Pléiade concourre à la notoriété de la collection mère qui le mérite. Je l'apprécie pour sa compacité, son exhaustivité, etc. Moins pour son aspect bibliophilique. Ce n'est d'ailleurs pas ce que je lui demande.
Cette ruée éfrénée vers l'album, tous les ans, a attisé un mécanisme pervers : la collection absurde. Le libraire que je suis se satisfait toujours que l'on veuille posséder un livre, que l'on veuille même en posséder une série, même si, comme je le disais plus haut, je suis intrigué par ce systématisme. Je vends volontiers ceux que j'ai réussi à acquérir par ailleurs (rarement, et uniquement chez des particuliers !). Cependant je me refuse à participer à l'escalade des prix à laquelle nous avons assisté ces dernières années.
Que l'on en juge :
1960 - Dictionnaire des auteurs de la Pléiade - 400,00 €
1962 - Album Balzac : 450,00 €
1963 - Album Zola : 450,00 €
1964 - Album Hugo : 380,00 €
...
2002 - Album Queneau : 50,00 €
2003 -Album Simenon : 35,00 €
etc.
Ces prix ont été relevés sur un site de vente professionnel et ne sont même pas les plus élevés. Disons également que les derniers prix sont raisonnables.

Une soixantaine d'euros pour cet album chez les confrères... Pas la peine de me le demander, toutes ces images proviennent de ma bibliothèque et non du fonds de la libraire.

Ces albums n'ont jamais fait l'objet d'un tirage réduit, même si la Quinzaine de la Pléiade était, semble-t-il, plutôt confidentielle à ses débuts. En tout cas, si le tirage de ces ouvrages ne fut pas très grand, il n'atteint jamais les tirages bibliophiliques. Alors, pourquoi ces prix absurdes ? Pourquoi 450,00 € pour une biographie de Balzac par Jean Ducourneau dans une reliure industrielle, et dont la rareté est vraiment relative ? En effet, j'en ai croisé au moins trois en deux minutes, sur Internet.
Les sommes proposées sont, à mon avis, hors de propos et ne relèvent même plus de la fantasmatique mais bien du cabanon. A qui faut-il jeter la pierre ? Au libraire ? Au collectionneur ? A la vente sur internet ? Dédouanons les sites de vente : le phénomène fut initié avant le début du commerce électronique des livres.
Accusons alors le mauvais goût qui fait prendre les livres de la Pléiade pour des livres de luxe. Accusons les libraires de neuf qui partagent ce mauvais goût avec les éditeurs parce que la tradition du livre s'est délitée depuis bien longtemps. Accusons-nous nous même, puisque nous avons tous l'envie d'écouler à bon compte et le plus facilement possible des choses qui ne nécessitent point trop d'efforts.
Et moi, entre la roulette de l'enfer et les trompettes de la mort, j'enfile mon habit de nuit , mes gants noirs et je vais tourner au-dessus de la ville à la recherche d'un lot à acheter...

3 commentaires:

  1. Ouais, c'est vrai, c'est bien, Vince Taylor...

    Otto Naumme

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  2. moi je cherche les jaquettes des albums hugo, proust, giono et maupassant.
    Tu peux me conseiller?
    Merci

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